La Nouvelle Femme

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affiche la nouvelle femmeLa Nouvelle Femme

Film franco-italien de Léa Todorov-114’

En France, « La Belle Époque » (1900/1914) bat son plein. A Paris, dans les cabarets, les café-concerts et les salons se mêlent la grande bourgeoisie d’affaires et les artistocrates désargentés. Lily d’Alengy (Leïla Bekhti) est une artiste, « demi-mondaine », prospère dans ce microcosme particulier. Elle évolue à son aise dans ce milieu où elle se donne en spectacle ; dans ses appartements luxueux elle reçoit ses riches amants. Elle vit une existence faite de plaisirs et de fêtes. D’un coup elle est ramenée à son douloureux passé : sa mère étant décédée, elle retrouve la garde de sa fille Tina (Rafaëlle Sonneville-Caby), une enfant souffrant d’un handicap. Compte tenu de sa situation, elle cherche à tout prix à dissimuler sa fillette « différente ».

En 1900, craignant d’être découverte mère d’une fille handicapée, elle part s’installer provisoirement à Rome avec Tina. Dans la capitale italienne, Maria Montessori (Jasmine Trinca), âgée de 30 ans, docteur en médecine (en 1896), féministe (défense et reconnaissance des droits des femmes) s’occupe d’enfants atteints de déficience mentale ; elle tient le poste de directrice de l’école d’orthophrénie (Scuola Magistrale Ortofrenicade) de Rome. Quelques années auparavant, en France elle a étudié les méthodes éducatives pour enfants déficients du précurseur Jean Itard* (1774/1838) et de son élève Édouard Seguin (1812/1880). Dans son établissement, elle entretient une liaison avec son collègue, le professeur Giuseppe Ferrucio Montesano (Rafaelle Esposito), son professeur de psychiatrie durant ses années de médecine. Ils cèlent un secret …

Les premières rencontres entre Lili d’Alengy et Maria Montessori sont difficiles : la mère cherche à se débarrasser à tout prix de Tina pour retourner à sa vie parisienne. La pédiatre est réticente : Tina n’est pas « idiote », c’est une enfant en manque d’amour maternel. Lili d’Angely insiste …

La Nouvelle Femme est le premier long métrage de fiction (documentée) de la réalisatrice et scénariste française Léa Todorov (41 ans). En 2016, elle co-écrit pour Arte le documentaire Révolution école : l’éducation nouvelle entre les deux guerres (réalisé par Joanna Grudzinska). Après la naissance de sa fille « différente » en juin 2017, sur l’impulsion de son producteur qui avait vu le documentaire, elle rédige un scénario sur Maria Montessori (1870/1952). Afin d’éviter un « biopic classique » et quelque peu laborieux, elle introduit un personnage de fiction, Lily d’Alengy, une courtisane parisienne insouciante, frivole, à l’opposé de la pédagogue rigoureuse et scientifique (observation du comportement des enfants « idiots »). De ce fait, Lili d’Alengy en côtoyant Maria Montessori devient le moteur de l’histoire par effet miroir ; l’une et l’autre se démènent avec le même problème : un enfant exclu.

Le récit de La Nouvelle Femme se concentre sur les deux personnages féminins, le fictionnel (Lili) et le réel (Maria), élargi à leur environnement social très différent, difficile pour les deux héroïnes dans un monde ou les hommes sont tout puissants et ou les premières féministes revendiquent leur place dans une société patriarcale. « Les hommes dominent la société, non seulement par leur pouvoir politique exclusif, par leur pouvoir économique, mais aussi par leur influence culturelle, idéologique et intellectuelle. » (Michel Winock, La Belle Époque : la France de 1900 à 1914 – 2002 Perrin). A leur manière, la française Lily d’Alengy et l’italienne Maria Montessori sont par des chemins différents, des féministes qui luttent pour une place reconnue dans la société de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème siècle. Deux forces qui peuvent s’unir.

Afin de « nourrir » la véracité du récit fictionnel, Léa Todorov a choisi de travailler avec de jeunes enfants « différents » (4 ans à 13 ans). Elle déclare à propos du casting de son film : « Certains des enfants que nous avons choisis ont des difficultés motrices, d’autres cognitives, d’autres, des troubles sensoriels, comme dans l’institut dans lequel officiait Maria Montessori ». Les regards, les actes, sur les enfants « neuro-atypiques » sont au cœur de La Nouvelle Femme.

La mise en scène du film est soignée tant au niveau des décors du début du XX ème siècle (en particulier les intérieurs), des costumes d’époque, et des images somptueuses, bien éclairées, du directeur de la photographie Sébastien Goepfert. Ce long métrage dévoile tout le talent de deux actrices : l’italienne Jasmine Trinca (Maria Montessori) pédagogue scientifique s’exprimant en italien et français (Maria a étudié les théories psychiatriques en France), et Leïla Bekhti (Lili d’Alengy) « demi-mondaine » cynique.

La Nouvelle Femme, le titre ayant plusieurs sens (le titre original italien est Maria Montessori) échappe au genre biopic habituel (naissance-maturité-mort) pour se concentrer sur quelques années clés autour de la découverte principale de Maria Montessori. Cette dernière a déclaré : « J’eus l’intuition que le problème de ces « déficients » était moins d’ordre médical que pédagogique ».

La méthode Montessori s’est répandue aujourd’hui dans le monde avec de multiples variantes (pas toujours heureuses). Elle n’en demeure pas moins une réponse forte à l’éducation des enfants par leurs moyens sensoriels : la main irrigue le cerveau.

*En 1970, François Truffaut (1932/1984) a réalisé et joué le rôle du médecin Jean Itard dans L’Enfant sauvage adapté du texte du docteur : Mémoires et rapport sur Victor de l’Aveyron (1806).

Jean Louis Requena