Film italien de Paola Cortellesi-118’
L’Italie de 1946 est un pays ravagé au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1939/1945). Les rodomontades guerrières du « Duce », Benito Mussolini (1883/1945), ont entrainé le peuple italien dans des guerres lointaines, incertaines, inappropriées, que ses armées mal préparées, mal équipées, ont toutes perdues. L’Italie d’alors est un désert de cendres : les infrastructures, routes, chemins de fer, usines, sont détruits ; la population affamée est par des années de disette. Cependant, Il faut survivre en ses temps difficiles. Heureusement, le pays reçoit une aide massive américaine dont les troupes militaires occupent l’Italie.
L’Italie est politiquement divisée : au nord les partisans d’une République sont nombreux ; au sud (Mezzogiorno) les nostalgiques du « roi de mai » Umberto II (1903/1983), fils de Victor-Emmanuel III (1869/1946) restent actifs. Dans cette agitation, Les autorités politiques préparent, pour le 2 et 3 juin 1946, un référendum institutionnel (République ou Monarchie) ainsi que l’élection d’une Assemblée Constituante. Les débats font rage.
La famille Santucci vit en sous-sol dans un quartier populaire de Rome. Elle comprend cinq membres : le père Ivano (Valerio Mastandrea), la mère Delia (Paola Cortellesi), leur fille aînée Marcella (Romana Maggiora Vergano) et deux jeunes garçons turbulents. Ivano est un « pater familias » violent qui bat régulièrement Delia, la harcèle à tout propos, l’humilie continuellement. Delia subit ce traitement au vu et su de tous ses voisins avec une apparente passivité. Après le départ de son mari au travail, Delia entame sa rude journée en divers emplois sous-payés : couturière, raccommodeuse de sous-vêtements, femme de ménage, soignante à domicile et même réparatrice de parapluies. Elle n’arrête pas de courir dans Rome d’une adresse à l’autre en encaissant quelques Lires pour ses tâches dispersées. Sa seule source de réconfort est son amie, Marisa (Emanuela Fanelli), une vendeuse de fruits et légumes pleine d’esprit et de bon sens.
Sa fille aînée, Marcella, est courtisée par Guilio Moretti (Francesco Centorame), un jeune homme de « bonne famille ». Des fiançailles sont envisagées ; Ivano donne son accord. Pour fêter cet évènement, Delia prépare un repas afin recevoir dignement la famille Moretti, au complet.
Quelques jours auparavant, Delia a reçu une mystérieuse lettre qu’elle cache avec soin …
Il reste encore demain (C’è ancora domani) est le premier film de la réalisatrice italienne Paola Cortellesi (50 ans), par ailleurs présentatrice à la télévision, humoriste, chanteuse et actrice dans son propre long métrage ! Elle est également coscénariste, « à la manière italienne » avec Furio Andreotti et Giulia Calenda, deux scénaristes confirmés. Paola Cortellesi déclare avoir trouver le sujet de son premier opus dans les conversations avec sa grand-mère et son arrière-grand-mère qui ont vécu, après la Seconde Guerre mondiale, la violence patriarcale quotidienne et … acceptée. Les 22 ans de régime fasciste (1923/1945) ont favorisé, développé, une attitude virile, martiale, chez les italiens reléguant ainsi les femmes : elles ne sont tolérées que comme épouse et mère. De ces faits rapportés par ses aïeux, Paola Cortellesi a fait une « comédie à l’italienne » : le drame n’est jamais loin du rire. Il reste encore demain progresse sur une crête entre la rudesse et le rire.
Paola Cortellesi a fait le choix de belles images en noir et blanc qui ne sont pas sans rappeler les grandes « comédies à l’italienne » des réalisateurs des années 1950 à 1960 : Le Pigeon (1959) de Mario Monicelli (1915/2010), Divorce à l’Italienne (1962) de Pietro Germi (1914/1974), le Fanfaron (1963) de Dino Risi (1916/2008), pour ne citer que quelques-unes de ces œuvres diffusées en France avec succès. Le cinéma italien était durant cette époque le meilleur et le plus puissant d’Europe (700 millions d’entrées ; France … 350 millions). Cette industrie a sombré, faute d’être soutenue par les autorités politiques, face à la télévision berlusconienne. Le film commence avec un format d’image 4/3 pour se transformer après les premières scènes en format standard 1.85 :1 (standard américain). Les premières séquences, le réveil dans l’appartement, sont un hommage à Rocco et ses frères (1961) le chef d’œuvre de Luchino Visconti (1906/1976) lequel clôt la période « néoréalisme » du cinéma transalpin. Les nombreux amoureux de ce cinéma disparu remarqueront que des citations (visuelles, verbales) sont « glissées » dans Il reste encore demain sous formes de scènes emblématiques, iconiques, de ce cinéma révolu. C’est un jeu, un plaisir, que de les reconnaitre.
Il reste encore demain est un succès phénoménal en Italie : 6 millions d’entrées en quelques mois ce qui ne s’était pas vu depuis La vie est belle (1997) de Roberto Benigni (grand prix du jury au Festival de Cannes 1997). Selon certains journalistes italiens les questions abordées par le film ont contribué à relancer les débats sur la violence masculine et le droit des femmes en Italie suite au meurtre de Giulia Cecchettin, une étudiante de 22 ans, en novembre 2023. C’est un cas rare ou une œuvre cinématographique entre en résonance avec un fait de société. Dans des marches blanches organisée pour protester contre le féminicide de Giulia Cecchettin des phrases, issues du film, ont été scandées.
Il reste encore demain a été tourné pour les extérieurs dans le quartier populaire de Testaccio à Rome (places, rues, etc.) et pour les intérieurs (appartements) dans les mythiques studios de Cinecittà. Le soin méticuleux apporté à tous les postes, photographie, habillement, décors, etc., renforce le sentiment d’identification par superposition des plans proposées par ce film à ceux restés dans nos mémoires. On visionne un film du présent avec la nostalgie des films du passé.
Pour son premier opus Paola Cortellesi a touché juste sur le lancinant problème sociétal : la violence faite aux femmes. Elle choisit la forme descriptive, sans concession, de la violence ordinaire mais adossée aux ressorts perpétrés par la « comédie à l’italienne ».
“Il reste encore demain” à n’en pas douter rencontrera en France le succès que ce film a connu en Italie. Les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Jean-Louis Requena