Le Ravissement

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affiche-le-ravissementFilm français d’Iris Kaltenbäck 97’ 

Un appartement dans Paris, un matin. Lydia (Hafsia Herzi) est sous le choc : son compagnon lui annonce qu’il aime une autre femme. Prise d’une colère froide, elle lui intime l’ordre de quitter immédiatement leur logement ; penaud, il s’y soumet.

Lydia est sage-femme dans un hôpital parisien ou plus exactement, maïeuticienne, métier qui consiste à intervenir par la parole lors d’accouchements. Précisément, elle prend en charge les mères, non les nourrissons. Esseulée, elle se consacre à son travail harassant, difficile, sans compter ses heures de garde.

Une nuit, épuisée, elle rencontre fortuitement un chauffeur de bus prévenant, Milos (Alexis Manenti), un serbe originaire de l’ex-Yougoslavie. Touchée par son empathie, son amabilité, elle passe une nuit avec lui. 

Salomé (Nina Meurisse), sa seule amie, lui annonce, lors d’une soirée festive, qu’elle est enceinte de son amoureux, Jonathan (Younès Boucif). Lydia se réjouit de cette nouvelle. Prise par son travail à l’hôpital, elle téléphone néanmoins, sans cesse, à Milos qui ne répond pas. Il ne donne plus signe de vie. Des mois plus tard, Salomé accouche difficilement d’une petite fille, aidée, encouragée dans son travail de parturiente, par Lydia. Quelques jours après l’accouchement difficile, Lydia s’occupe de la petite fille en la promenant dans les couloirs de l’hôpital. Dans un ascenseur, le nouveau-né dans ses bras, elle tombe subitement sur Milos … 

Le Ravissement est le premier long métrage de la réalisatrice française Iris Kaltenbäck (35 ans). C’est une ancienne étudiante de la FEMIS, promotion 2015, dans la section scénario. C’est durant la préparation de son premier court métrage, Le Vol des cigognes, qu’elle est tombe sur un fait divers rapporté par les journaux : « une jeune femme emprunte l’enfant de sa meilleure amie et fait croire à un homme qu’elle en est la mère ». A partir de ce « pitch », la réalisatrice a développé un scénario très subtil, aux multiples rebondissements, dont le moteur principal de l’intrigue est Lydia, femme mutique et solitaire. Son silence paradoxal (elle prend vigoureusement la parole lors des accouchements), l’habite hors profession, et déclenche par sa permanence et son étendue, des actions inopinées. 

 Le Ravissement avait tous les « ingrédients » pour être un téléfilm de plus, sans grand intérêt, comme nous en visualisons des centaines. Cependant par la rigueur, les trouvailles de la mise en scène (voix off de Milos, blouson rouge de Lydia, sa longue chevelure noire, etc.), Iris Kaltenbäck transcende somme toute une histoire simple, linéaire, mais fort bien écrite et mise en scène.  

Le Ravissement est une fiction documentée sur un fait divers « enrichi » par l’implication (stages dans les hôpitaux) de son actrice Hafsia Hersi (Lydia), ici bloc taiseux, mais dont le mutisme recouvre une personnalité manipulatrice. Son interprétation toute en retenue donne une épaisseur à son personnage qui n’est pas franchement sympathique : cette jeune femme esseulée, confrontée à des maternités quasi quotidiennes, lesquelles la troublent, réagit en construisant un futur illusoire et éphémère. L’actrice que nous avons découverte, en 2007, dans La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche (César du meilleur espoir féminin en 2008) confirme de films en films (une quarantaine) et en tant que jeune réalisatrice (trois longs métrages : Tu mérites un amour (2019), Bonne Mère (2021) et La Cour (2022), son singulier talent : exprimer des émotions fortes sans paraitre démonstratrice. 

 Le Ravissement que nous propose Iris Kaltenbäck est son premier opus remarquable, au récit fluide, au budget modeste (2 millions d’euros !), non dénué de plusieurs niveaux de lectures. Le Ravissement, est la promesse d’une cinéaste d’avenir.