Santosh

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affiche SantoshSantosh

Film britannique de Sandhya Suri-120’

Une ville au nord de l’Inde. La belle famille de Santosh (Shahana Goswami) refuse de l’accueillir après la mort de son mari, policier, tué lors d’une manifestation. Sa belle-mère la rejette avec mépris : « on ne reprend pas un vieux pot qui a déjà servi ». Santosh, 28 ans, est une jeune veuve sans travail et sans enfants. Démunie, elle décide de s’adresser au commissaire de police pour lui faire part de sa détresse. Ce dernier la reçoit avec désinvolture : elle a perdu son mari, ainsi perd elle également le logement de fonction. Cependant, il existe une seule solution si elle veut sortir de cette catastrophe : bénéficier d’un « recrutement compassionnel » établi par le gouvernement. Il s’agit de remplacer, poste pour poste, son défunt mari. Elle accepte. Au terme de l’entretien, un policier lui remet l’uniforme taché de sang de son époux. De retour dans son appartement, elle le lave soigneusement afin de l’endosser. Après une courte formation, elle intègre un commissariat de police : c’est l’unique femme. Elle devient la cible du sexisme ordinaire de ses collègues masculins.

Santosh exerce son métier avec sérieux et application. Elle observe un monde grouillant qui lui était inconnu. Un père dalit (caste intouchable) se plaint à la police de la disparition de sa fille. Il est raillé par les policiers qui n’ont que mépris pour cette caste d’analphabètes qui vit dans un village retiré. Une manifestation de soutien au père est couverte par les médias (journaux, télévisions, etc.). Les autorités policières d’abord indolentes, promettent d’agir. Après une enquête bâclée la jeune fille est retrouvée au fond d’un puit : elle a été violée puis assassinée. Les policiers semblent se désintéresser de cette sordide affaire mais l’intervention de Sharma (Sunita Rajwar), une inspectrice aguerrie, dépêchée sur les lieux, relance l’affaire. Sharma la vétérane et Santosh la novice font équipe pour retrouver l’assassin de la jeune dalit.

Sharma a une personnalité à la fois forte et mystérieuse, non sans ambiguïté, dans un univers hostile aux femmes …

Santosh est le premier long métrage de fiction de la réalisatrice anglaise d’origine hindou, Sandhya Suri laquelle a produit de nombreux documentaires sur l’Inde primés dans de nombreux festivals internationaux. Santosh est sa première œuvre de fiction. Dans une interview elle explique que la raison en est simple : il est impossible dans l’Inde actuelle « la plus grande démocratie du monde » (1,4 milliard d’habitants !) de réaliser un documentaire sur la police. Devant le refus des autorités, elle a donc rédigé un scénario original documenté, s’inspirant de « l’affaire Nirbhaya » (une jeune étudiante de New Delhi victime d’un viol collectif dans un bus et battue à mort par six individus en 2012). « L’affaire Nirbhaya » a soulevé une énorme vague d’indignation dans tout le pays. Les assassins ont fini par être retrouvés et châtiés ; cet atroce féminicide a mis en lumière la violence faite aux femmes dans cet immense pays compliqué. Les homicides perdurent, renforcés par la promiscuité générée par les gigantesques mégalopoles agrégatives, le système des castes (5 au total !), les diversités religieuses (hindouisme, bouddhisme, sikhisme, islam, christianisme, jaïnisme, etc.), la multiplicité des langues (hindi, l’anglais, langues officielles, auxquelles s’ajoutent le bengali, le marathi, etc.), et le système patriarcal. L’Inde est une chaudière loin de nos clichés occidentaux de tolérance et de paix. Le premier ministre actuel en exercice depuis 2014, Narendra Modi (73 ans), récemment réélu (juin 2024) pour la quatrième fois, est un militant nationaliste hindou, populiste, antimusulman et xénophobe qui attise les tensions sociétales de son pays dans le but, unique, de se maintenir ainsi au pouvoir.

Le genre policier (thriller) en littérature ou au cinéma a une vertu cardinale : il permet par l’enquête (la recherche du coupable) d’accéder aux différentes strates d’une société. L’investigateur, souvent solitaire, est un révélateur des composantes, des contradictions, des impasses, de celles-ci. Aussi, la recherche de la vérité est par nature « transclasses ». La société indienne actuelle éclatée n’en manque pas : des brahmanes (classe supérieure) aux dalits (intouchable). Santosh décrit tout cela avec force, sans détour. La réalisatrice ne cherche pas d’effets faciles de mise en scène mais va toujours au plus près des protagonistes de cette histoire sordide jusqu’à son dénouement dramatique. Sandhya Suri met en scènes le plus simplement du monde « sacrifiant », pour plus de véracité, la qualité de l’image. De fait, elle échappe à la tentation de faire du beau avec du laid. La mise en image de son chef opérateur, l’allemand Lenner Hillege, est remarquable (couleurs désaturées, nombreux clairs obscurs).

Pour narrer la complexité des situations dans l’Inde actuelle, il fallait des actrices de premier plan au registre étendu : Shahana Goswani (Santosh) et Sunita Rajwar (Sharma) forment un duo tour à tour, complexe, non dénué d’arrières pensées, mais attachant ; la première jeune, idéaliste, peu expansive ; la seconde âgée, retorse, lucide. Mais toute deux sont sans illusion sur la violence faite aux femmes de leur pays.

Santosh est un long métrage remarquable en tous points (absence de musique extradiégétique revendiquée par la réalisatrice !). Il casse les clichés que nous avons et avions eu (l’Inde fantasmée de la décennie 1960/1970) et montre sans fard une société centrifuge qui n’est pas prête à se rassembler, encombrée par sa multitude, sa diversité, et sa politique nationaliste. C’est un constat sans fard !

Santosh a été sélectionné au Festival de Cannes 2024 dans la section Un Certain Regard.

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